Je n'aime pas les chats - Nouvelle
Elle
le répétait volontiers à qui voulait l'entendre. « Moi ?
Je n'aime pas les chats. » Elle le disait de sa voix chantante
à celui qui s'extasiait des prouesses de son animal de compagnie
adoré ou à celle qui recherchait quelqu'un pour garder Félix. Elle
appréciait de voir le visage de son interlocuteur se transformer,
la bouche former un O parfait puis se refermer, sans trouver de
réplique appropriée.
Ce n'était pas à
cause d'une allergie qui lui irritait le gorge, la faisait tousser,
éternuer et monter la larme à l’œil à chaque fois qu'elle
se trouvait à proximité d'un chat qu'elle ne les aimait pas.
Ni parce qu'un
vendredi 13, elle avait rencontré un chat noir juste avant de faire
une chute.
Non. Pas du tout.
Elle n'aimait pas les chats parce qu'ils étaient des chats.
Selon elle, la Mère
Michel n'avait jamais perdu son chat. Bien au contraire, elle se
réjouissait de s'en être débarrassée. Toute la publicité autour
de cette prétendue perte n'avait pour but que de s'assurer de la
réussite de sa mise en scène.
Même le
maneki-neko, le chat porte bonheur japonais ne trouvait pas grâce à
ses yeux. Comment une patte levée derrière l’oreille pouvait-elle
attirer la bonne fortune ? Interrogations et scepticisme ;
voilà tout ce qu’il évoquait en elle.
Aurélie n'aimait
pas les chats et ne s'en cachait pas.
Aurélie enchaînait
les contrats à durée déterminée. Pour l’expérience, à défaut
de la stabilité. Sa dernière mission achevée depuis plusieurs
semaines, elle s'était mise en quête d'un nouvel emploi. Et un
recruteur l’attendait ce jour pour un entretien.
Maquillage naturel,
coiffure soignée, chemisier blanc, pantalon noir, pendentif discret
autour du cou. Elle voulait donner une image très précise d'elle :
agréable, discrète et efficace.
Elle s’était
ensuite précipitée dans le métro ; glissant dans la rame
bondée alors que le signal sonore retentissait. Impossible de faire
le moindre pas. Rien que de respirer relevait de l’exploit. Il ne
restait plus qu'à prendre son mal en patience quelques minutes.
Ce fut d’abord le
bruit qui attira son attention. Un gémissement proche du vagissement
d’un bébé. Elle essaya de distinguer des roues de poussette dans
la forêt de bottes et de baskets. Elle leva les yeux, cette fois à
la recherche de porte-bébé et autre écharpe de portage. Deuxième
petit cri, suivi d’un grattement. Et elle vit la caisse. Juste sous
son nez. Blanche, classique. Une banale caisse de transport de chat.
Le propriétaire, perché sur ses grandes jambes ne remarqua pas son
expression horrifiée. Le chanceux respirait probablement un air
moins saturé d’odeurs (parfum, déodorants, après-rasage, frites,
chat !) Ce dernier se rapprocha de la grille, comme pour la
narguer. Il était minuscule. Tigré, des yeux brillants et des
petites tâches autour des oreilles. Il la regarda un instant, lui
présenta le bout de sa langue et retourna pleurer au fond de sa
cage. Encore un arrêt et elle serait délivrée de sa présence.
Elle esquiva un pas chassé afin de s’éloigner autant que possible
de l’indésirable voyageur. Mais la foule compacte l’empêchait
de mettre de la distance entre eux deux.
Elle éternua une première fois en
sortant du métro. Et une seconde en remontant à la surface. Le peu
de temps passé à proximité du chat avait été suffisant pour
l’irriter. De ses yeux rougis, elle chercha une pharmacie. Il n’y
avait pas grand monde et un pharmacien en formation s’occupa
d’elle.
- Bonjour. Il me
faudrait du Zyrtec, s’il vous plaît.
Il disparut le temps
d’aller chercher le médicament. Elle aimait bien son allure
décontractée malgré sa réserve apparente. Elle le remercia d’un
sourire et régla sa commande. Sur le seuil de la pharmacie, elle
s’arrêta pour se moucher et essuyer une larme. Non seulement elle
risquait d’arriver en retard, mais en plus, elle ne serait plus si
présentable. Le pharmacien qui l’avait servi vint relever les
ordonnances à ce moment-là.
- Puis-je vous
aider ? Quelque chose ne va pas ?
Elle hésita une
seconde. Il portait des lunettes à montures rondes et noires. Et
paraissait si jeune dans sa blouse blanche !
- Je voudrais
bien prendre le cachet. Elle haussa les épaules. Je n’ai pas
d’eau. Et j’ai un entretien dans cinq minutes.
Il retourna dans
l’officine par la porte de service et en ressorti avec un gobelet
d’eau fraîche. Elle ne réalisa pas immédiatement qu’il lui
avait donné bien plus qu’un verre d’eau.
Il y avait sept ans
déjà, qu’elle avait franchi le pas de cette pharmacie. Aujourd’hui, elle ne se préoccupait pas de sa situation
professionnelle. Elle était anxieuse, excitée, joyeuse, effrayée.
Elle se regarda encore une fois dans la glace. Ses cheveux
descendaient en cascade sur ses épaules. Cette coiffure lui allait
bien. Elle se sentait belle dans sa longue robe blanche. Elle l’avait
choisie sans traîne. Avec de la dentelle aux épaules et un
décolleté tout à fait convenable. Des perles aux oreilles. Et de
véritables œuvres d’art à la place des ongles. Elle sentit son
estomac se contracter. Elle n’avait rien pu avaler de la journée.
Aurélie ne s'était pas sentie aussi stressée depuis ses examens de
fin d'études. Elle allait bientôt faire un choix ; elle
espérait que ce serait le bon. Elle s’assit sur le rebord du lit
pour enfiler ses escarpins. Après tout, il était trop tard à
présent pour revenir en arrière. Passer une belle journée, voilà
tout ce qui importait. Faire de ce jour le plus beau jour de sa vie.
Elle s’en sentait capable finalement. Son téléphone émit un
faible bip. Elle consulta l’heure. Ses amies, ses sœurs et sa mère
l’attendaient au salon. Il était temps pour elle de sortir de sa
chambre et de les rejoindre. Aurélie se leva, adressa un dernier
sourire à son reflet. Elle prit sa pochette, l'ouvrit pour en
vérifier le contenu. Une larme perla sur sa joue quand elle vit le
message. Celui qu'il lui avait glissé dans la main en même temps
que le verre d'eau, sept ans plus tôt, devant la pharmacie. Elle
avait composé le numéro en sortant de l’entretien. Pas besoin
d’être devin pour savoir qu’elle n’aurait pas le poste. Il ne
lui restait plus qu'à se changer les idées. Calmer son irritation,
sa rage, sa déception. Pierre, pharmacien en formation de son état,
balaya bien vite ces sombres pensées. Il était trop heureux qu’elle
ait osé l’appeler et se fit une joie de lui communiquer sa bonne
humeur ! Légers coups frappés à la porte. Sa mère
s'impatientait. Il était temps de mettre un terme à la nostalgie et
de rejoindre l'homme de sa vie. Elle revit encore le petit chat fauve
dans sa cage. Ses yeux brillants, les tâches autour de ses oreilles.
Aurélie n’aimait pas les chats. Mais ce chat-là, elle
l’adorait.
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Retrouvez-moi également :
Dans Lelixir # 8, avec la nouvelle Pression
Dans moshi moshi # 8, avec De l'art
et ici aussi...
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1 commentaire:
Superbe ! j'adore !
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